État des lieux et perspectives de la société civile au Maroc

Texte du discours de clôture de l’assemblée générale du FCDM, tenue le 28 Avril 2019, présenté par le président fondateur du FCDM.

Quelques huit ans après le printemps arabe et après l’adoption de la Constitution de 2011 quel serait l’état de la société civile au Maroc, ou plus exactement dans quel état se trouverait actuellement le mouvement associatif marocain, tant au plan local (où l’on relève une variété de situations), qu’ au plan national ? Et quelles sont les perspectives d’avenir ?

La situation actuelle se caractérise par la prédominance de la vieille culture qui perçoit encore la société civile comme un acteur « informel », que l’on aborde à travers des mécanismes très relâchés d’information ou de consultation, son profil d’acteur du changement est loin d’être manifeste, une tendance marquée sinon au regroupement du moins aux grandes interactions, comme par exemple à l’occasion de l’observation des élections, le plaidoyer en faveur/ou contre certaines lois, autour des enjeux du climat, de l’immigration, des droits de l’homme… Cette tendance est comme contrariée. De fait elle paraît de plus en plus limitée, voire rejetée. La tendance des grandes concentrations d’ONG comme on les a observées et vécues au cours des grands dialogues nationaux, le Forum Mondial des Droits de l’Homme, la COP 22, la récente Conférence sur l’immigration ..? Les rassemblements, les occasions d’interaction, les coalitions ont l’air de se dégonfler comme une peau de baudruche.

Aujourd’hui prévaut, l’émiettement, le localisme, le procéduralisme, le rétrécissement du champ de travail. Aujourd’hui s’impose l’incapacité des associations de s’affirmer comme force collective d’action pour le changement

Une autre tendance négative est de nouveau représentée par une certaine étatisation du mouvement associatif : à l’instar de ce qui était arrivé sous le règne précèdent avec la création d’associations régionales dans les années 80 (appelées associations de fleuves, collines et montagnes) , nous avons vécu au cours de la première décennie de ce siècle la vague INDH, les associations de quartiers, de communes, des vagues quasi administratives ou partisanes, s’affirmant régulièrement comme force d’appoint pour les manifestations de l’État. Peut être les militances démocratiques avaient elles eu tort de laisser le terrain vide à l’insignifiant, au lieu de suivre ce mouvement et même de se l’approprier. En rapport avec le positionnement du CERSS dans le domaine de la Recherche – Action des expériences sont en cours dans le champ de la formation professionnelle et de grandes perspectives s’annoncent.

Le mouvement associatif a été aussi déserté par ses initiateurs et promoteurs qui ont à un certain moment de leur parcours décidé de capitaliser les savoir faire acquis dans le feu de l’action, et de s’adonner à l’expertise. Il est bien difficile de rendre compte de ce niveau de la réalité du mouvement associatif marocain sans s’arrêter sur les cas individuels et les processus qu’ils représentent, d’entrée au marché de l’expertise ou de la consultation, ceux qui ont monté leurs boites de consulting compétitives, les trajectoires des militances associatives en détresse…). Dans d’importantes ONG, ceux qui la portent sont à la fois des militants, des experts de la Banque Mondiale, ou des consultants pour leur propre compte.

Indiscutablement, se dresse une crise de renouvellement des élites (peut on les appeler « élites associatives », ou simplement « cadres associatifs », dans un contexte de crise profonde de la vision d’ensemble. « On racle les fonds de tiroirs ». De même après la vague des DVD, des indemnités de l’IER, les vieux associatifs s’adonnent à des activités somme toute lucratives, ils n’ont plus le temps de s’adonner pleinement et sans réserve à la militance associative comme ils le faisaient avant, et en même temps malgré tout ils ne veulent pas lâcher les postes de commandement. Les déviations associatives vers le lucratif, ou le manque de cohérence dans les comportements et parcours, ont été enregistrées au niveau territorial : Nador, Tanger, Mohammedia, Agadir, Zagora, etc..

Un autre trait est représenté par le contexte politique marqué par l’existence d’une configuration gouvernementale ne répondant pas tout à fait aux normes démocratiques. Les associations du « rang démocratique » négocient et arrivent à des accords avec les ennemis d’hier : l’Etat profond, les islamistes, le PAM ( ce dernier apparaissant souvent comme une passerelle vers l’État). Les enfants de la gauche, les acteurs de l’IER qui avaient nourri une certaine culture d’une relation particulière entre l’Etat et la société sont désemparés. Nombre d’associations du pays avaient participé au forum de la société civile à Fès à la fin des années 90, mais cela se passait dans l’ére du gouvernement de l’Alternance. Ceux qui veulent aujourd’hui reproduire ce modèle, se trompent : les composantes, les acteurs ; les articulations, le sens ne sont plus les mêmes. Les données ont changé. Ce n’est plus la société civile de papa.

Parmi les autres caractéristiques importantes de la phase actuelle, on relève l’absence de coupures épistémologiques entre les moments associatifs et les mouvements sociaux, entre les mouvements sociaux et les moments civils: le passage de l’Etat de mouvement associatif à celui de société civile, de société civile à celui de mouvements sociaux n’est pas marqué. Il en découle de l’amalgame, du mélange sur le plan organisationnel, philosophique, praxis, ainsi qu’au niveau des rapports avec les politiques publiques. L’acteur associatif change de casquette selon les situations.

A ce tableau, il convient d’ajouter les nouvelles stratégies des bailleurs de fond qui ont concouru à la confusion de l’action des associations les transformant en prestataires de services. Les choix politiques des bailleurs de fond sont centrés sur l’intégration pacifique des islamistes. Ils ont imposé des thématiques qui ne semblent pas constituer les priorités de la société marocaine, comme par exemple la dé radicalisation. Les bailleurs de fond ont amené les associations à les suivre, empêchant une l’émergence naturelle d’une prise de conscience authentique, l’orientant, l’encadrant à distance au moyen de la politique des appels d’offre. Cela explique en partie pourquoi l’emploi associatif est limité, qu’il n’y ait pas de profils appropriés aux différentes situations et postures associatives, que les frontières lorsqu’elles existent sont aisément transgressées par tous.

Enfin et sur un plan plus global, les flux de démocratie participative compte déjà une décennie d’existence institutionnelle, mais il ne s’est suffisamment implanté pour pouvoir se stabiliser et constituer un terreau naturel d’épanouissement des acteurs associatifs.

II- Parmi les quelques éléments de sortie que l’on peut proposer, citons:

1 – D’abord il s’impose d’admettre que l’analyse même de la situation constitue un premier pas pour pouvoir sortir de cette crise de représentation. Il convient d’approfondir les diagnostics et les multiplier. Il est important de se mettre e à l’écoute de la rue en tant qu’expression de la société, d’intégrer les divers éléments dans une vision d’ensemble ;

2- Il paraît nécessaire d’introduire une rupture avec les pouvoirs, l’État profond, de construire un autre rapport avec les institutions. L’État lui – même est fortement secoué par les mouvements sociaux et est troublé par la situation d’affaiblissement des partis, l’explosion de fragments de mouvements sociaux, les flux de désyndicalisation et le débordement des centrales par la contestation hors structures.. Pourtant l’un des enjeux les plus importants est d’amener l’État à se défaire de sa tendance autoritaire/sécuritaire ;

3- Le mouvement associatif est l’un des emblèmes de la démocratie participative, mais le plein déploiement de celle-ci n’est plausible que si elle s’appuie sur les institutions de la démocratie représentative. Le parlement a été souvent le creuset des plaidoyers et des batailles civiles. Il doit le redevenir. Aujourd’hui, la première chambre est comme fermée au débat extra-parlementaire, et la seconde fonctionne elle – même comme une sorte d’ONG, les deux institutions tournent le dos au débat public légitime;

4- Il s’impose aussi de reconstituer la force civile, de surmonter l’égocentrisme organisationnel, pour une pratique collective, de reconstruire la capacité de renouvellement. Le renouvellement de l’esprit de l’appel de Rabat est un impératif. Il paraît vital de trouver un moyen de rassembler le mouvement associatif, de relancer les idées, de créer un véritable mouvement face au politique, de construire des mouvements thématiques dont l’impact pourrait être déterminant dans une vision globale convaincante : politique civile, droits de l’homme, les dimensions géopolitiques;

5- le mouvement associatif devra alors déployer toute son énergie à travailler à créer un univers fait de négociation, de méditation, de concertation. Il s’agit, dans une perspective programmatique, de développer des corps intermédiaires pour la résolution des conflits entre l’État et la société…

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